Le Cambodge est un petit pays. Les Khmers rouges ont assassiné deux millions de ses habitants sur huit. C'était il y a trente ans mais la terreur a duré dix ans, l'administration vietnamienne dix autre années, le passé est toujours là, écrasant de non dits, de parole impossible, d'impasses politiques. Le pays est dirigé par un de ses anciens bourreaux, aujourd'hui démocratiquement élu.
Chaque famille -dont celle du Roi Sihanouk lui même- compte vingt ou trente personnes massacrées, on parle de réconciliation sans justice, renvoyant dos à dos l'assassin et ses victimes. C'est comme si ce peuple de pêcheurs et de paysans paisibles n'avait d'autre destinée que d'être martyr. Les peuples guerriers n'ont pas cette histoire. Pour la comprendre, les grilles de notre Europe presque trop propre et prospère ne servent de rien. Nos capitaines d'industrie ont appris à importer «nos» richesses et à exporter nos déchets, nous imaginons un monde à notre image, qui n'a aucune réalité.
Quels enseignements tirer de ce voyage, de ces voyages, si ce n'est le respect de l'humain dans toute sa diversité et sa complexité, le refus impuissant et obstiné de tout ce qui le blesse ou l'humilie, de tout ce qui est inhumain dans l'humain?
Où qu'ils soient les hommes aiment, travaillent, luttent pour leur survie et meurent, l'univers s'organise tant bien que mal autour de chacun d'eux, au centre de son monde. C'est pour ça que le centre du monde n'existe pas plus ici que là, il est partout.